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Frutta Caravaggio -
Le Caravage
Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage, est un peintre italien né le 29 septembre 1571 à Milan et mort le 18 juillet 1610 à Porto Ercole.
Son œuvre puissante et novatrice révolutionna la peinture du XVIIe siècle par son caractère naturaliste, son réalisme parfois brutal, son érotisme troublant et l'invention de la technique du clair-obscur qui influença nombre de grands peintres après lui.
Par ailleurs il mena une vie dissolue, riche en scandales provoqués par son caractère violent et bagarreur, allant jusqu'à tuer lors d'une querelle, sa fréquentation habituelle des bas-fonds et des tavernes, ainsi que par sa sexualité scandaleuse pour l'époque, ce qui lui attira de nombreux ennuis avec la justice, l'Église et le pouvoir.
Il a trouvé, dans son art, une sorte de «rédemption à toutes ses turpitudes», mais il fallut attendre le début du XXe siècle pour que son génie soit pleinement reconnu, indépendamment de sa réputation sulfureuse.
BIOGRAPHIE
Michelangelo Merisi est né le 29 septembre 1571, à Milan où travaille son père contremaître, maçon, architecte et intendant du marquis de Caravaggio. En 1576, la peste oblige la famille à retourner dans sa ville d'origine, la petite ville lombarde du nom de Caravaggio en province de Bergame. Le père Fermo meurt l'année suivante. Le futur peintre y passe son enfance et il en tire son nom d'artiste.
À l'âge de treize ans (1584) il entre comme apprenti à l'atelier du peintre Simone Peterzano (qui se réclame du Titien) à Milan où il reste quatre ans. Il retourne à Caravaggio en 1589 jusqu'à la mort de sa mère et au partage de l'héritage familial en 1592, puis il part pour Rome.
Ses premières années dans la grande cité sont chaotiques et mal connues: cette période forge sa réputation d'homme violent et querelleur, souvent obligé de fuir les conséquences judiciaires de ses rixes et duels. Il vit d'abord dans le dénuement, hébergé par un ami de la famille Mgr Pucci pour qui il copie des tableaux religieux, et qu'il travaille chez le Cavalier d'Arpin où il produit ses premières œuvres de jeunesse tel le Garçon avec un panier de fruits ou le Jeune Bacchus malade. Plusieurs historiens évoquent un voyage à Venise pour expliquer certaines influences typiquement vénitiennes, notamment pour le «Repos pendant la fuite en Égypte», mais ceci n'a jamais été établi avec certitude.
À Rome, il est finalement remarqué par Le Cardinal Del Monte pour des tableaux comme la «Diseuse de bonne aventure» ou «Les Musiciens», qui le prend sous sa protection et l'héberge dans son palais vers 1597. Il y peint entre autres ses premiers grands tableaux religieux.
Grâce à ce très puissant et influent mécène, il commence à recevoir des commandes importantes à partir de 1599, notamment pour le clergé: «La Vocation et le Martyr de Saint Matthieu» pour la chapelle Contarelli de Saint-Louis-des-Français, «La Conversion de Saint Paul» et «La Crucifixion de Saint Pierre» pour la chapelle Cesari à Sainte-Marie-du-Peuple.
Plusieurs de ses œuvres majeures lui sont refusées par ses commanditaires, jugées trop vulgaires voire scandaleuses, comme la première version de La conversion de saint Paul (la seconde version sera acceptée), Saint Matthieu et l'ange (1602) ou plus tard la Mort de la Vierge (1606). Malgré tout, ces refusés trouveront preneurs en les personnes du marquis de Giustiniani ou du duc de Mantoue, riches amateurs d'art.
Les années qu'il passe à Rome sous la protection du cardinal ne sont pas exemptes de difficultés: toujours aussi bagarreur, il se trouve souvent mêlé à des affaires criminelles mais aussi de mœurs, et connaît plusieurs séjours en prison ainsi qu'à l'hôpital. Entre temps, il peint une grande partie de ses tableaux les plus réputés et connaît un succès et une célébrité croissants à travers toute l'Italie: les commandes affluent, même si certaines toiles sont régulièrement refusées.
En 1607, suite à une rixe avec un certain Tomasi, il se bat en duel et tue son adversaire. Cet acte valait alors condamnation à mort: obligé de fuir Rome, il commence un long périple à travers l'Italie. Cependant, il s'efforce d'y revenir tout le long de sa vie mais sans succès.
Il se rend d'abord à Naples puis à Malte où il arrive l'été 1607. Souhaitant obtenir la protection du puissant Ordre des Chevaliers de Malte, il est présenté au grand maître, Alof de Wignacourt, dont il peint deux fois le portrait. Il produit également plusieurs tableaux comme une Décollation de Saint Jean Baptiste ou une Flagellation, commandés par le clergé local. En 1608, il est fait Chevalier de grâce de l'Ordre de Malte.
Mais sa consécration ne dure pas: à peine quelques mois après son adoubement, rattrapé par sa réputation, il est radié de l'ordre et jeté en prison, apparemment accusé d'avoir «séduit» le fils d'un haut dignitaire de l'ordre, peut-être le jeune page au sourire si malicieux représenté dans le portrait du maître. Il ne doit son salut qu'à son évasion, probablement aidé de quelques amis haut placés.
Le Caravage débarque alors à Syracuse où il produit plusieurs commandes pour le clergé: notamment «La résurrection de Lazare» et «L'enterrement de Sainte Lucie». Il s'emploie, avec l'appui de ses protecteurs et en peignant des tableaux moins provocateurs, à obtenir la grâce du Pape afin de pouvoir rentrer à Rome. En 1609, il retourne à Naples, où il est gravement blessé lors d'une nouvelle bagarre: la nouvelle de sa mort remonte jusqu'à Rome. Mais il survit et peint encore plusieurs tableaux comme un nouveau Saint Jean-Baptiste, un David et Goliath particulièrement sombre ou un Martyre de Saint Ursule qui est sans doute sa toute dernière toile.
En 1610, il apprend que le Pape est disposé à lui accorder sa grâce. Il s'embarque alors sur une felouque pour se rapprocher de Rome. Mais lors d'une escale à Porto Ercole, il est arrêté par erreur ou malveillance et jeté en prison pendant deux jours, où il tombe malade. Relâché, il ne trouve plus son bateau qui ne l'a pas attendu. La légende dit que dépité, perdu et fiévreux, il erre sur la plage en plein soleil où il finit par mourir quelques jours plus tard, le 18 juillet 1610. En fait, son certificat de décès, retrouvé en 2001, dans le registre des décès de la paroisse de Saint-Erasme de Porto Ecole signale qu'il est décédé "à l'hôpital de sainte Marie-Auxiliatrice, des suites d'une maladie". Il n'aura pas su que le pape Paul V, cédant à ses amis et protecteurs, avait finalement apposé son sceau sur l'acte de grâce.
L'ŒVRE
L'œuvre du Caravage laisse rarement indifférent : souvent détestée ou méprisée pour ses sujets ambigus voire scandaleux, ainsi que pour son réalisme cru et sa théâtralité, régulièrement associée à la vie sulfureuse du peintre délinquant et assassin, elle est aussi adorée pour son intensité dramatique et l’indéniable génie de l’artiste.
Il a fallu attendre le début du XXe siècle pour que soient reconnues l’importance de l’œuvre du Caravage et l’étendue de son influence sur l’art pictural des siècles qui le suivirent jusqu’à aujourd’hui. De nombreux peintres comme Poussin, La Tour, Vélasquez, Rubens ou Rembrandt furent largement inspirés par Le Caravage. Aujourd’hui encore, la technique dite du clair-obscur introduite par Le Caravage est largement utilisée en photographie par des artistes comme Sally Mann, Robert Mapplethorpe, Joel-Peter Witkin et bien d’autres.
L’un des grands apports du Caravage à la peinture est la technique dite du clair-obscur. Dans la plupart de ses tableaux, les personnages principaux de ses scènes ou de ses portraits sont placés dans l’obscurité : une pièce sombre, un extérieur nocturne ou bien simplement un noir d’encre sans décor. Une lumière puissante et crue provenant d’un point surélevé au-dessus du tableau enveloppe les personnages à la manière d’un projecteur sur une scène de théâtre, comme un rayon de soleil qui percerait à travers une lucarne. Le cœur de la scène est particulièrement éclairé, et les contrastes saisissants ainsi produits confèrent une atmosphère dramatique et souvent mystique au tableau.
Dans Le Martyre de saint Mathieu (1599,1600) la lumière du soleil traverse le tableau pour se déverser à flot en son centre, sur le corps blanc de l’assassin et les tenues claires du saint martyr et du jeune garçon terrifié, contrastant avec les vêtements sombres des témoins disposés dans l’obscurité de ce qui semble être le chœur d’une église.
Le saint écarte les bras comme pour accueillir la lumière et le martyre ; ainsi l’exécuteur, ne portant qu’un voile blanc et pur autour de la taille, semble un ange descendu du ciel dans la lumière divine pour accomplir le dessein de Dieu – plutôt qu’un assassin guidé par la main du démon.
Ces contrastes de clair-obscur omniprésents dans l’œuvre du Caravage seront souvent critiqués pour leur caractère extrême considéré comme abusif. Stendhal les décrit en ces termes :
«Le Caravage, poussé par son caractère querelleur et sombre, s'adonna à représenter les objets avec très peu de lumière en chargeant terriblement les ombres, il semble que les figures habitent dans une prison éclairée par peu de lumière qui vient d'en haut. »
Le Caravage produit en grande majorité des tableaux religieux, afin d'honorer des commandes du clergé. Pourtant, il fera régulièrement scandale et sera souvent prié de retourner à ses pinceaux suite au refus des toiles proposées.
Deux des plus grands reproches qui lui seront toujours faits sont un souci de réalisme frisant le naturalisme avant l'heure dans l’exécution de ses figures, ainsi que le choix de ses modèles.
Plutôt que de chercher à peindre de belles figures un peu éthérées pour représenter les actes et personnages de la bible, Le Caravage préfère choisir ses modèles parmi le peuple : prostituées, gamins des rues ou mendiants poseront souvent pour les personnages de ses tableaux, y compris les Saints bibliques. Pour La flagellation, il compose, comme une chorégraphie, des corps avec un Christ dans un mouvement d'abandon total et d'une beauté charismatique. Pour le Saint Jean-Baptiste au bélier, il montre une petite gouape au regard provocateur dans une pose lascive — il a été dit que le modèle était un de ses amants.
La position de l’Église à cet égard témoigne d’une certaine schizophrénie : d’un côté, cette sorte de vulgarisation de la religion l’intéresse beaucoup à une époque ou la contre-réforme s’étend dans l’Italie catholique, afin de se montrer sous un jour humain par contraste avec l’austérité affichée du protestantisme ; de l’autre, la représentation des saints sous les traits vulgaires de vauriens sortis des bas-fonds est jugée incompatible avec les valeurs de pureté et de sainteté quasi aristocratiques que véhicule l’église de l'époque.
Ce sentiment est renforcé par le choix du Caravage de peindre avec un grand souci du réalisme dans l’exécution de ses figures : il se refuse à corriger les imperfections de ses modèles pour les rendre plus « beaux » ou plus conformes aux visions que l’église a de ses saints. Par exemple, la première version de son Saint-Mathieu et l’ange sera refusée non seulement pour la sensualité de l’ange jugée triviale, mais aussi pour la saleté des pieds du saint, minutieusement reproduite d’après modèle.
Le tableau du Caravage qui causera le plus grand scandale aux yeux de l’Église sera la Mort de la Vierge, pour la représentation très réaliste du corps de la Vierge Marie avec un ventre gonflé — accompagné de rumeurs sulfureuses selon lesquelles le modèle aurait été le cadavre d’une prostituée enceinte retrouvée noyée dans le Tibre.
Ainsi, la considération de l’Église catholique envers Le Caravage et ses tableaux oscillera d’un bout à l’autre de sa carrière entre l’accueil enthousiaste et le rejet absolu. Le peintre y trouvera ses plus grands protecteurs — comme le cardinal del Monte — ainsi que ses plus grands ennemis.
Mais la condamnation ne viendra pas seulement de l'Église : les choix du Caravage, associés à sa mauvaise réputation, lui vaudront de nombreuses critiques parfois très véhémentes à travers les âges. Nicolas Poussin - bien qu'il s'en soit largement inspiré - dira de lui qu'«il était venu pour détruire la peinture».
La figure humaine joue un rôle primordial dans la peinture du Caravage. À part dans quelques rares natures mortes exécutées à ses débuts, les personnages sont toujours les sujets principaux de ses tableaux : que ce soient dans des portraits ou des mises en scènes, le décor est souvent réduit à portion congrue ne servant qu’à mettre les personnages en valeur ou même parfois totalement absent.
Plus particulièrement encore, le corps humain est un objet de fascination pour le Caravage. Il prend grand soin à le représenter dans ses moindres détails les plus réalistes - jusqu’à la blancheur blafarde de la peau d’un Saint Jean Baptiste, ou la poussière sous les pieds de Saint Mathieu qui lui sera tant reproché.
Les corps du Caravage sont presque exclusivement masculins, jeunes ou vieux : on ne lui connaît pas de représentation de femmes nues. Il semble avoir une prédilection pour les corps trapus, imposants et dotés de muscles saillants : dans nombre de tableaux, les personnages semblent envahir tout le cadre. C’est particulièrement visible dans des tableaux comme le David de 1600, le Christ à la colonne ou encore le Couronnement d’épines.
L’érotisme qui se dégage de ces corps imposants est souvent troublant ce qui lui valut, là encore, de nombreuses critiques. Les attirances homosexuelles et pédérastiques du Caravage n’ont guère été établies avec certitude, d’autant que c’est un sujet que les chroniqueurs gênés préfèrent garder sous silence, même de nos jours mais l’observation de son œuvre laisse peu de doutes à ce sujet. Cette sexualité, considérée comme infâme à l’époque et vigoureusement condamnée par l’Église, lui valut beaucoup de problèmes avec la justice et le pouvoir : il fut impliqué dans nombre d’affaires de mœurs.
Ainsi, beaucoup de ses tableaux furent mis à l’index pour leur érotisme ambigu, y compris dans les tableaux religieux : le Christ lui-même, dans l’Incrédulité de Saint Thomas, est représenté avec une sensualité toute particulière ; l’expression langoureuse de l’ange dans Saint Mathieu et l’Ange, considérée comme triviale et déplacée, valut à son tableau d’être refusé par ses commanditaires du clergé.
Aujourd’hui encore, plus de 400 ans après, l’érotisme du Caravage n'a pas perdu son caractère dérangeant, subversif et ambigu : nos contemporains ont encore du mal à observer des tableaux comme l’Amour Victorieux, le Jeune Saint Jean Baptiste au bélier ou même Les musiciens sans ressentir une certaine gêne.
Dans nombre de ses tableaux le peintre choisit des personnes appartenant à la «lie» du peuple : prostitués, vagabonds, mendiants, gamins des rues. Il n'hésite pas non plus à représenter des scènes très religieuses avec une sensualité troublante et crue, parfois frisant l'obscénité ou la pornographie.